Plus d’un siècle après la disparition de la peintre et sculptrice Rosa BONHEUR (1822-1899), Michel BASSOMPIERRE franchit les portes de son ultime demeure, devenue son Musée, pour y dévoiler plus de 50 ans de création. "Regards Croisés sur l'animal", une exposition à découvrir jusqu'au 30 septembre 2024.
« Ce que je ressens ici, c’est que si j’étais très heureux, je voudrais le fêter avec ces animaux. Et si j’étais dans un jour de blues, j’aimerais bien me coller dans le cou du gorille pour qu’il me console, parce que j’ai le sentiment qu’on pourrait partager ensemble un moment de compassion. » Des confessions faites par l'acteur François CLUZET lors du vernissage de l'exposition dont il est le parrain.
François CLUZET, fin connaisseur de l'Art animalier et parrain de l'exposition, lors de l'inauguration.
Organisée sous l'égide du WWF, l’exposition met à l'honneur l'animal et "sensibilise les visiteurs à la fragilité du vivant", explique Katherine BRAULT, Présidente du Musée Rosa BONHEUR.
Deux artistes avec des différences de style et d'époque, mais une passion et un talent en commun
Le Dos Argenté n°7 au Musée Rosa BONHEUR. ©Théo PITOUT
Si Michel BASSOMPIERRE et Rosa BONHEUR ont évolué à des époques totalement différentes et ont développé chacun un style unique, leur parcours et leur démarche présentent des similitudes frappantes. Fascinés depuis l’enfance par les animaux, ils les ont représentés dès qu’ils ont été en capacité de tenir un crayon en main. Le dessin est d’ailleurs pour eux la base de toute création. Travailleurs infatigables, ils ont toujours remis l’ouvrage sur le métier, sans écouter les critiques et se soucier des tendances.
Chez eux, l’animal n’est pas un objet, mais le sujet principal. Il n’est jamais agressif, il semble capté dans l’intimité de son quotidien. Après des heures d’observation et d’étude minutieuse du squelette et des muscles pour éviter toute erreur anatomique, ils l’ont immortalisé au calme de leur atelier, loin du tumulte du monde extérieur. Ce qu’ils ont cherché à restituer alors va bien au-delà de "l’enveloppe" de l’animal, dont ils ont plutôt tenté de capturer "l’essence". Pour Rosa BONHEUR, il s’agissait de retranscrire son âme, pour Michel BASSOMPIERRE, son esprit.
Travaux de Rosa BONHEUR et de Michel BASSOMPIERRE, dans la Salle des Secrets.
Une vocation précoce
Rosa BONHEUR a très vite exercé sa main : "J’ai dessiné presque dans mon berceau et à l’âge où les enfants se contentent d’un hochet, je maniais déjà le crayon. Au lieu d’apprendre à lire et à écrire, je préférais m’amuser avec les petits paysans. Je leur dessinais dans le sable tous les hôtes de notre basse-cour."
A l’adolescence, elle est formée par son père, professeur de dessin et portraitiste, et gagne très vite sa vie en reproduisant les toiles des Grands Maîtres au Louvre.
Michel BASSOMPIERRE et Rosa BONHEUR
Du plus loin qu’il s’en souvienne, Michel BASSOMPIERRE a lui aussi dessiné. “Quand je rentrais du Jardin des Plantes, où j’avais passé des heures à observer les animaux, il fallait que je dessine, pour matérialiser tout ce que j’avais dans la tête. Je dessinais tellement que ma mère me donnait de vieux rouleaux de papier peint que je passais mes journées à crayonner; allongé par terre. Mes parents m’ont ensuite inscrit aux Beaux-Arts, où j’ai très vite compris que ce que je préférais par dessus tout, c’était la sculpture”.
Le dessin comme base à toute création
Aux élèves qu’elle formera au cours de sa carrière, Rosa BONHEUR conseillait toujours de dessiner, sans relâche : “Chaque artiste doit consacrer une grande partie de son existence, non seulement à exercer sa main, mais à recueillir des documents sur toutes les choses qu’il voit ; ce sont les éléments de ses créations futures. Des études, j’en ai fait de toutes les espèces, et plutôt que de m’en séparer, j’aimerais mieux me contenter pour chaque jour de mon existence d’un morceau de pain sec. Ce sont de vrais instruments de travail.”
Croquis de pandas de Michel BASSOMPIERRE.
“Aux Beaux-Arts, on nous apprenait à dessiner en 10 secondes ”explique Michel BASSOMPIERRE. “Le modèle changeait ensuite de position. Ça m’a appris à capter l’essentiel. Cela m’a beaucoup servi ensuite quand j’allais dessiner les animaux dans les zoos. Nous sommes quatre dans ma tête : l’animalier (qui observe et comprend son sujet et ses comportements), l’anatomiste (qui saisit la structure des corps), le dessinateur (qui maitrise la ligne restituant le mouvement) et le sculpteur (qui retranscrit en volume). Mais à la fin, c’est toujours le sculpteur qui décide !"
L’âme de l’animal tranquille
Les deux Grands Maîtres partagent la même envie de représenter l’animal posé et serein.
Même dans ses dessins et peintures de fauves, Rosa BONHEUR les présente dans des positions tranquilles : “Du reste, même sauvage, le lion n’attaque jamais, à moins qu’il ne soit poussé par la faim” explique-t-elle.
Le Patriarche n°1 dans la forêt de Rosa BONHEUR.
Les animaux de Michel BASSOMPIERRE semblent également surpris dans l’intimité de leur vie, comme le laissent deviner le noms de ses œuvres : Le Miel, un ours brun se léchant la patte, Le Campagnol, un ours voyant passer une petite souris entre ses pattes, Le Mélèze, qui se frotte le dos contre l’arbre du même nom, ou Le Patriarche, gorille dominant surveillant son groupe.
Cette tranquillité choisie n’empêche pas de ressentir la force et la puissance de l’animal, comme dans les gorilles de Michel BASSOMPIERRE ou chez les chevaux de Rosa BONHEUR dans son Marché aux chevaux.
Modelage d'ours polaire de Michel BASSOMPIERRE devant Les chevaux sauvages fuyant l'incendie, de Rosa BONHEUR.
Restituer l’âme ou l’esprit de l’animal
Rosa BONHEUR a toujours défendu que les animaux avaient une âme et a cherché sans relâche à la représenter : "Une chose que j’observais avec un intérêt spécial, c’était l’expression de leur regard : l’œil n’est-il pas le miroir de l’âme pour toutes les créatures vivantes : n’est-ce pas là que se peignent les volontés, les sensations des êtres auxquels la nature n’a pas donné d’autre moyen d’exprimer leur pensée ?"
Rosa BONHEUR, Renard (détail).
De son côté, Michel BASSOMPIERRE tente de traduire l’expression de l’animal. “Cela ne passe pas uniquement par le regard", explique-t-il, "parce que le sculpteur n’a pas les mêmes possibilités que le peintre pour retranscrire le regard, cela passe donc par l’expression corporelle”.
Le Miel n°5
Travailleurs infatigables, fidèles à eux-mêmes
Entre les Romantiques, avec leurs scènes de violences animales qui dominaient l’Art au début de sa carrière et les Impressionnistes, qui ont connu le succès avant la fin de sa vie, Rosa BONHEUR a maintenu son cap sans se laisser influencer. Elle n’a pas écouté les critiques selon lesquelles elle ne se renouvelait pas et tendait vers trop de sensiblerie.
“A l’époque où je suis sorti des Beaux-Arts, j’ai été déprécié parce que je travaillais le figuratif à une époque où il était banni, confie Michel BASSOMPIERRE. Mais je suis resté fidèle à l’enseignement d’un de mes professeurs qui disait : Restez fidèle avec vous-même. Faites ce qui est beau à vos yeux. C’est devenu ma devise.”
Michel BASSOMPIERRE dans son atelier, modelant La Banquise n°4
S’isoler pour créer
De Rosa BONHEUR qui a travaillé toute sa vie, on a recensé environ 2000 œuvres dans les collections du monde entier. Dans son atelier, Michel BASSOMPIERRE est entouré de milliers de dessins et des centaines de sculptures. “Je travaille toujours avec autant de plaisir les ours et les gorilles. Même si je pense désormais les maîtriser, je ne considère pas avoir encore exploité toutes les possibilités sculpturales qu’ils peuvent m’offrir”.
Michel BASSOMPIERRE et Rosa BONHEUR dans leur atelier
Pour créer, les deux artistes, qui se comparent à des ours, ont besoin du calme de leur atelier.
“C’est pour fuir cette obsession constante autant que pour me rapprocher de la nature, que j’ai pris la résolution de « m’en aller aux oiseaux », comme dit Aristophane, c’est-à-dire de me réfugier dans la solitude et de vivre loin du monde”, expliquait Rosa BONHEUR lorsqu’elle s’est installée au Château de By.
“Pour travailler, j’ai besoin d’être seul dans mon atelier, confie Michel BASSOMPIERRE. Je suis tout seul avec mes rêves, avec mon arche de Noé. Il y a un roman qui dit que les oiseaux se cachent pour mourir, moi je dis que les ours se cachent pour vivre.”
Une considération et une approche de l’animal différentes selon les siècles
A l’époque où Rosa BONHEUR perce dans la peinture, le sculpteur Antoine-Louis BARYE domine l’Art animalier. Premier sculpteur de la période Romantique, il représente toujours l’animal dans des scènes de violents combats.
Rosa BONHEUR va parvenir à se détacher de ce modèle alors très suivi par ses homologues pour représenter des individus plus que des symboles. Elle va les personnaliser, sans chercher à représenter un animal idéal. Contrairement aux Romantiques, elle ne va pas s’intéresser qu’aux animaux exotiques, mais va également représenter le bétail. Elle va par ailleurs défendre l’animal à bien des reprises : “Et dire qu’il est des gens qui s’entêtent à affirmer que les animaux n’ont pas d’intelligence.”
Rosa BONHEUR et sa lionne, Fatma
Si aujourd’hui l’animal a une place reconnue dans la société, son traitement dans l’Art a également évolué. “Aux Beaux-Arts, les professeurs nous expliquaient qu’il ne fallait plus faire une représentation anecdotique de l’animal, dans une scène par exemple, mais qu’on devait le représenter pour lui-même” explique Michel BASSOMPIERRE.
Une approche artistique différente de l’animal
La Salle des secrets du Musée Rosa BONHEUR
Pour Rosa BONHEUR, un bon tableau est un tableau ressemblant. "Le point de départ doit toujours être une vision de la vérité. L’œil est le chemin de l’âme et le crayon, ou le pinceau doit sincèrement et naïvement reproduire ce qu’il voit."
Michel BASSOMPIERRE a quant à lui choisi de supprimer les détails pour se concentrer sur les courbes de l’animal. Chez lui, l’ombre ne vient jamais heurter la lumière. Pour cela, il choisit exclusivement des animaux très ronds, comme l’ours, le gorille, l’éléphant d’Asie, le cheval de trait ou le panda.
L'Orangerie du Musée Rosa BONHEUR accueille les œuvres de Michel BASSOMPIERRE
La plus grande exposition de Michel BASSOMPIERRE à ce jour
Inédite, l’exposition présente pour la première fois plus de dix sculptures monumentales dans le parc du Château de Rosa BONHEUR, plus d’une vingtaine de bronzes et de marbres mais aussi des dessins originaux de Michel BASSOMPIERRE. A l’aide de maquettes en argile et de moules en plâtre, elle offre une véritable plongée dans le processus créatif du sculpteur, mêlé à celui de Rosa BONHEUR. |
Images : ©John Paul SPARROW / ©Théo PITOUT / ©Aurélien ELUECQUE / ©BASSOMPIERRE
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